jeudi 25 décembre 2008

Vie de famille

Les japonais n'ont pas vraiment la même notion de ce qu'est la famille ou le couple qu'en occident. C'est d'ailleurs ce qui explique en partie le taux de divorce, qui bien que grandissant, reste très faible par rapport à ce que l'on peut connaître à Paris (où il dépasse amplement les 50%).

Dans mon fameux cours "Japanese Business and Society", on nous a expliqué que lorsqu'un couple a des enfants, la relation qu'il entretient va muter et se focaliser sur le rôle de parent. Schématiquement, l'épouse devient mère avant tout, le mari devient père avant tout. Ca implique donc que le couple passe au second plan, voire que de notre point de vue d'occidentaux on a même bien du mal à déterminer en quoi il existe encore. La mère va donc entretenir une relation extrêmement étroite avec ses enfants, l'accomplissement de son devoir de mère, c'est à dire l'éducation de sa progéniture, devenant le moteur de son épanouissement (ou pas, mais là ça devient pas cool). De son côté, le père se retrouve mis à l'écart, il doit essentiellement travailler pour rapporter de l'argent au foyer, son week end est consacré à ses enfants. Pas étonnant que les japonais comptent parmis les personnes qui ont le moins de relations sexuelles par an (les français étant toujours dans le top à ce niveau là). Et de nombreux hommes choisissent ainsi de prendre des maîtresses, sans nécessairement le cacher à leur femme puisque c'est parfois un accord au sein du couple.

Et on sent encore plus cette focalisation sur l'enfant et cette dissolution du couple au profit du rôle de parent quand on entend quelques anecdotes. Par exemple il est tout à fait normal qu'un enfant dorme dans le lit de ses parents jusqu'à un âge assez avancé (5/6 ans). Impensable chez nous, et c'est à mon avis pour le mieux. Pour moi ce genre de système ne fait qu'entretenir le complexe oedipien et c'est carrément malsain, sans compter que je vois mal comment tuer son couple peut être synonyme d'épanouissement. Je ne sais pas si on peut voir le rapport à la nudité comme étant également un signe de cette mentalité très particulière. Dans le sens où chez nous, on ne se montre que rarement nu devant ses enfants, la nudité étant donc réservée à l'intime et au cadre du couple. Au Japon les mères prennent leur bain avec leurs enfants jusqu'à ce qu'ils aient 10 ans voire parfois plus.

Peut-être que je fais de l'ethnocentrisme pur, mais c'est véritablement une conception des choses qui me choque et que je vois comme allant à l'encontre du bon développement de l'enfant comme de l'épanouissement des parents. Comment peut-on arriver à couper le cordon en étant élevé dans ces conditions ? Je veux bien que l'indépendance soit pas vue comme une qualité ou un bien à atteindre au Japon, mais j'imagine pas comment on peut atteindre un but à la fois aussi simple et compliqué que celui d'être heureux sans apprendre à vivre de façon indépendante, à satisfaire ses propres besoins. D'ailleurs, on a réalisé un petit sondage en classe. Sur l'ensemble des élèves japonais (une quinzaine de personnes entre 18 et 23 ans) il n'y en avait que deux qui ne vivaient plus chez ses parents et c'était parce qu'ils n'avaient pas le choix, les autres profiaient de l'argent ainsi économisé pour s'acheter des produits de luxe avec leur salaire (vêtements, jeux vidéos, haute technologie, etc...). Car effectivement, tous les étudiants travaillent à côté de leurs étues, mais ce n'est absolument pas par nécessité dans la plupart des cas. Sur l'ensemble des étudiants internationaux (à peu près autant de personnes dans la même tranche d'âge) seulement trois vivaient encore chez leurs parents dans leur pays d'origine. Et aucun de ceux qui ne vivaient plus chez leurs parents aurait préféré que ce soit encore le cas afin de réaliser des économies. Après ça on ne me fera pas dire que les japonais n'ont pas de mal à couper le cordon.

Et ce qui m'a également bien étonné, c'est que notre professeur était persuadé que le fait que les occidentaux soient davantage indépendants de leurs parents est un obstacle à la solidarité intergénérationnelle. Comme si dans les jours de vieillesse de nos parents on allait les laisser tomber. Sincèrement, à part dans quelques cas isolés où les enfants auraient les moyens d'aider leurs parents mais ne le font pas par égoisme, je ne suis vraiment pas persuadée que sa théorie ait le moindre fondement.

8 commentaires:

Manuel a dit…

Ha voilà une chose qui m'étais complétement inconnu, mais dans les films nippons on voit de temps en temps les enfants se laver avec leurs parents
(N'est ce pas le cas dans Totoro même ? Il me semble qu'il y a une scène de bain) .

Evidemment pour nous c'est quelque chose d'assez particulier mais il n'y a pas si longtemps encore les familles vivaient sous le même toit avec plusieurs générations et souvent pour des raisons purement pratiques (se chauffer, une seule pièce pour dormir etc ...) dormaient ensemble.

Alors oui pour les personnes qui ont vécus en ville toute leur vie ça peut paraître choquant, le confort matériel moderne permet à chacun d'avoir sa pièce, même au Japon c'est vrai (quoique... vu le manque de place, on voit aussi des films où il y a plusieurs personnes dans la même pièce pour dormir).

Je crois qu'il y a creuser, le sentiment d'indépendance étant quelque chose d'important mais il est néammoins relatif aux conditions de vie, si tu n'as pas de fric tu ne peux pas être indépendant, point barre.
D'ailleurs il y a de plus en plus de jeunes européens qui restent chez leurs parents à cause de la situation économique, les récentes émeutes en Grèce avec la génération de diplômés qui ont des salaires de misère en témoignent.
En Espagne la moyenne est la plus élevée, beaucoup de jeunes ne partent pas de chez leurs parents avant 25 ans, ce pays avait il y encore peu le chômage le plus élevé d'Europe (et le logement social n'existe pas comme en France, d'où une certaine tolérance sur les squatts).

C'est surtout flagrant en Europe du Sud mais ça commence à venir en France, j'en suis un exemple vivant, bien que maintenant j'ai ma piaule, mais quelque part j'ai été indépendant très tôt dans la tête, mais mon cas est particulier, j'ai vécu en pointillé chez mes parents, mon cocon d'enfance je l'ai quitté très jeune.

alors le consumérisme pour les jeunes japonais qui restent à la maison, ho et bien je penses que c'est un moyen comme un autre de profiter du confort et de la protection, la situation économique n'est pas non plus au mieux là bas, j'ai vu un reportage sur des jeunes qui bossaient mais vivaient dans la rue ou dans les manga kissa parce que se loger à Tokyo est atrocement cher (tu dois en savoir quelque chose), ils faisaient même les poubelles.
C'est le même problème qu'en Europe, qu'aux Etats-Unis aussi, les salaires sont merdiques dans tous les pays pour les jeunes qui débutent, le minimum vital n'est même plus assuré (un toit, se vêtir, se nourrir, pouvoir se soigner, le reste c'est de la littérature après... du luxe alors que ce minimum n'est déjà pas assurer pour les 2/3 de la population mondiale).


Alors oui après on peut parler d'indépendance, si c'est ça être indépendant, faire les poubelles et dormir où tu peux sans savoir de quoi demain sera fait, je comprend tout à fait le choix de ces jeunes.
Je ne connais pas ta situation sociale de base, la mienne est plutôt précaire d'un point de vue individuelle, si je n'avais pas ma famille et de bonnes relations c'est pas les pauvres contrats de merde qu'on me propose malgré une formation qui me permettraient d'assurer un avenir digne d'être vécu, et encore j'ai de la chance je ne suis ni arabe ni noir, c'est triste à dire mais ça me facilite les choses.
Voilà ça c'est la réalité aujourd'hui dans tous les pays, au Japon comme ailleurs. L'indépendance est un luxe de pays nantis, rien de psy là dedans.

Alors oui après on peu discuter sur certains aspects, mais y a t-il plus de gens mal dans leur peau là bas qu'ici ?
Oedipe il a bon dos après, c'est culturel ça (ouai tu remarquera j'aime pas les trucs psys, j'ai fait de la sociologie aussi, assez antagoniste les deux domaines :D).
Un éminent psychologue (j'ai oublié le nom) disait que les japonais étaient dépourvus d'Ego, en Chine (qui a une culture de promiscuité très forte, pour les mêmes raisons que le Japon) la psychanalyse n'adopte pas le même angle que celle en Occident (où il y a de la place pour nos petits nombrils éternellement insatisfaits).

C'est pas le Japon qui détient le record mondial de consommation d'anti-dépresseurs et de suicides non plus (je dévie un peu mais certaines raisons me poussent à dire ça), c'est en Occident que les problèmes psy sont les plus nombreux.

Tu devrais aller faire un tour dans les quartiers moins favorisés, si j'allais là bas c'est ce que je ferai, ils existent (et comme ici c'est là qu'ils font du hip hop).
Les cotés branchouille d'akihabara c'est très superficielles, on a cette image là en Europe comme les japonais ont cette image de culture raffinée de la France (que les grosses entreprises soignent à l'extrême cette image, le capitalisme aime toujours mieux le clinquant), ce sont des faux-semblants qui ne concernent qu'une minorité, des clichés en somme.
Le coté Geek et Otaku également, mais c'est moins élitiste, plus sympathique (ou pathétique selon le point de vue ^^)

Manuel a dit…

Pour la fin de ton article à propos de la solidarité inter-générationelle, comment on fait si on ne peut déjà pas assurer par soi-même sa propre subsistance ?

Alors oui on peut quand même être solidaires, jusqu'où ?

Au Japon même l'emploi est devenu de plus en plus précaire.
Ces sont les anciennes générations qui possèdent, les jeunes qui assurent le fonctionnement, sans espoir de vivre mieux, même pas aussi bien, à un moment donné, impossible ça me fonctionnera plus.

Alors oui on parle de la robotique pour remplacer la population déclinante, ha je suis curieux de voir ça (C'est pour ça que ça m'intéresse pas mal), mais alors à quoi ça va ressembler, ho fascinant et effrayant à la fois.

Notre génération vit largement moins bien que celle de nos parents, mon père fait le même métier depuis 25 ans, ceux qui rentrent aujourd'hui comme débutant dans son domaine sont traités comme des merdes par rapport à ce qu'il a connu, il peut en témoigner (enfin ça reste correct, c'est pas l'usine non plus, en même temps il n'y a plus d'usine alors ou celles qui restent sont toute fermées ces temps-ci...).
Je ne parles même pas du chômage galopant, des conditions de travail qui se dégradent, des décisions politiques qui sont toutes mauvaises ou presque, là encore je ne t'apprend rien sur la crise, là bas ils en savent aussi quelque chose (pour en avoir eu un petit aperçu il y a 10 ans).



Imagines alors pour fonder un foyer dans ces conditions, les japonais ne font presque plus de gosses (natalité parmis les plus faibles au monde, là encore je t'apprend rien), on se demande pourquoi aussi, à passer leur vie à bosser, un pays où le mot vacances vient de l'étranger (confirme moi ;)).
Un pays où les habitants commencent à disparaître, à ce rythme il n'y aura plus de japonais dans moins de deux siècles (ça peut paraître long pour une vie, à l'échelle d'une civilisation c'est comparable aux Mayas, parallèle intéressant).

Korari a dit…

Oh mon dieu les pavés quoi!

J'ai parcouru ça en diagonale. Je crois que tu te prends beaucoup la tête là où il n'y a que des choses simples. :P

Déjà pour le côté indépendant, les jeunes japonais ont le plus souvent tout à fait l'argent pour se payer un appart. Un baito ça rapporte infiniment plus qu'un petit job étudiant en France, économiquement la France est complètement à la rue comparé au Japon. Ici la "crise", c'est parce qu'on a 5% de chomage et qu'on a plus un emploi à vie. Que si tu te fais pas recruter au cours de la période de recrutement habituelle tu passes plus ou moins pour un paria auprès des entreprises (pourquoi personne en a voulu avant ? etc...). D'ailleurs ces personnes dont tu parles qui font les poubelles, c'est eux. Mais faut vraient pas croire que c'est courant d'en arriver là (les reportages qu'on nous passe en France à propos du Japon sont généralement une pure honte). Là y a une certaine crainte qu'il y ait davantage d'étudiants passant en dernière année qui puissent pas trouver de travail à cause de la crise financière, mais comme la période de recrutement termine en avril on pourra pas le dire avant un petit moment.

D'ailleurs, des quartiers défavorisés, dans Tokyo j'en ai pas encore vu. Et à mon humble avis ils n'existent pas (y a bien des coins un peu moins chers parce que les bâtiments sont vieux et donc pas aux dernières normes sismiques mais si t'es pauvre tu vis pas à Tokyo).

Et nop le mot vacances vient pas du tout de l'étranger, c'est yasumi. Après comme souvent ils en ont peut être un second qu'ils ont piqué aux anglais, mais je l'ai jamais vu employé pour le moment. En tout cas yasumi sert à dire beaucoup de choses: le verbe japonais pour dire se reposer a la même origine (yasumu), il sert d'ailleurs aussi à dire que t'as été absent de cours, le week end c'est yasumi, un jour férié c'est yasumi. En gros ça veut plus dire "période de repos" qu'autre chose. ^_^


Enfin bref, je crois que ta grosse erreur c'est de calquer les problèmes économiques de la France sur ceux du Japon.

Et je ferais un petit topo sur les enfants plus tard. Parce que là aussi y a beaucoup à dire. Et tu vois que non, leurs coutumes sont pas forcément ce qu'il y a de mieux. Mais là je voulais surtout insister sur le fait que le mari se fait virer de sa place de mari et a un rôle essentiellement financier en tant que père, j'ai eu l'occasion d'en parler un peu avec mon élève de français et je peux te dire que ça le rend vraiment pas heureux.

Anonyme a dit…

Pour le mot "vacance" je crois que Manuel n'a pas tout à fait tord, et si je dis pas de bêtises je crois qu'il y a un équivalent qui vient du mot français "vacance" ^^ (qui devient un truc comme ba-kan-su ou une connerie comme ça, ils ne l'emploient pas souvent mais faudrait vérifier)

Sinon pour ce qui est de la culture japonaise, du couple et de l'éducation des enfants il faut admettre que c'est particulier. J'étais au courant de cette transformation du couple au moment où celui-ci à un enfant. Tout comme le fait de dormir ou prendre des bains jusqu'à pas d'âge. C'est vrai que ça n'aide pas les enfants à devenir indépendant. Et c'est assez malsain :x Il faudra t'y faire faire ma chère Koko quand tu seras mariée avec un japonais et que t'auras un enfant xD





(Au fait, c'en est où de ton japonais avec qui tu voulais sortir ? T'as lâché l'affaire ?)

Manuel a dit…

Je m'en suis rendu compte après coup pour les pavés, c'est l'effet Noël, j'avais trop de calories à brûler hier soir, je ferai moins lourd là, je n'ai qu'une pizza au four cette fois (des huitre, du saumon, du chapon, des pommes de terres et de la bûche en dessert ça pèse, sans oublier les boissons).
(Oui c'est tordu comme prétexte ^^)



J'avais vu ça par rapport au père, c'est pour ça aussi que les hommes d'âge mûr adorent fréquentés des jeunes femmes, ça leur fait oublier leur triste vie de famille, mais ça ne doit pas être systématique, dans les villes plus modestes les gens sont peut être moins obsédés par le boulot et ont une vie familiale plus épanouie.

Un peu comme partout en fait...

Kloritera a dit…

J'aurais juré avoir vu il y à quelques années une caricature qui disait (dessinait) en gros que la langue japonaise avait repris le mot "Arbeit" à la langue allemande pour signifier le travail, et le mot "Vacance" à la langue française pour signifier les vacances. Ça rejoindrait les commentaires précédents. Par contre, est-ce que ça n'était pas juste un délire de caricaturiste ???

Pour en revenir à la vie de famille façon japonaise, un article paru dans un numéro de Sanqua (que je ne saurais pas vous citer de tête) montrait que ce qui nous paraissait choquant dans le fait que les parents dorment avec les enfants jusqu'à un âge avancé ne venait en réalité que de nous. Nous sommes issus d'une culture parentale où les enfants vivent dans une chambre séparée de celle de leurs parents dès le plus jeune âge. Maintenant, la vie de famille façon japonaise produit-elle plus d'exclusion, d'asociaux, ou de "Tanguy" ... que la vie de famille façon européenne??? Difficile d'y répondre ...

En lisant l'article de Sanqua, j'avais été "charmé" par la représentation, la portée et le sens qui se dégageaient de l'image "couple uni autour de l'enfant ou du nourrisson". En lisant ton article Korari, je ne sais plus du tout quoi penser !

Vilaine ! T'as tué mon utopie ! ^^

Korari a dit…

Arbeit a bien été repris, mais dans le mot baito, qui veut dire "petit boulot" (ou job étudiant quoi).

Pour le mot vacances j'imagine qu'il a lui aussi été repris, c'est vraiment tout à fait possible (dans ce cas ça serait bakansu), mais c'est pas le mot couramment employé pour dire vacances. Doit y avoir une nuance qu'on a pas chez nous.

Pierre Compignie a dit…

Pour l'indépendance, dans notre culture occidentale c'est un concept fort vers lequel il semble naturel de vouloir tendre, mais est-ce qu'on sait s'il est positif pour l'être humain?